Au Tchad, Succès Masra dans de sales draps

L’ancien Premier ministre et opposant est en détention provisoire, accusé d’avoir contribué à de récents affrontements meurtriers entre communautés rurales.

Quand Succès Masra reverra-t-il la lumière du jour ? La question suscite l’angoisse des partisans du leader du parti d’opposition Les Transformateurs, depuis son arrestation à son domicile, vendredi 16 mai 2025, par des hommes armés.

« Un enlèvement », selon son parti, alors que le procureur de la République, Oumar Mahamat Kedelaye, impute cette interpellation à une procédure judiciaire déclenchée après les événements du Logone-Occidental.

Dans cette région du sud-ouest du Tchad sujette à des tensions récurrentes quant au partage des ressources naturelles, de violents affrontements communautaires survenus deux jours plus tôt, le 14 mai, ont fait au moins 41 morts et plusieurs blessés, dont des femmes et des enfants.

« Un massacre qui a été planifié, organisé, exécuté méthodiquement et déclenché par un enregistrement audio qui incitait à la haine, à la révolte contre des populations assimilées à des non-originaires de ce territoire », d’après le ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation, Limat Mahamat, cité par Jeune Afrique (JA).

Un audio polémique

C’est à ce niveau qu’intervient la responsabilité de Masra, à en croire les autorités judiciaires. L’audio concerné révèle la voix de l’opposant appelant à l’usage d’armes à feu. « Apprenons-nous les uns et les autres à utiliser une arme à feu. Soyons tous des boucliers protecteurs », l’entend-on dire en langue locale.

Ces propos constituent selon l’accusation des motifs d’« incitation à la haine, à la révolte », de « constitution et complicité de bandes armées », ainsi que de « complicité d’assassinat », d’« incendie volontaire » et de « profanation de sépultures ».

Problème : les propos remontent à trois ans. Ils avaient été prononcés quelques mois après un autre événement meurtrier, en l’occurrence une manifestation de l’opposition contre le pouvoir du président de transition d’alors Mahamat Idriss Déby Itno – élu président depuis. Cette manifestation avait fait au moins une cinquantaine de morts, de source officielle, le jeudi 20 octobre 2022.

Une chasse aux sorcières ?

« Cette prise de parole ne saurait être qualifiée de haineuse puisqu’elle n’évoque que l’urgence pour les victimes d’opposer à leurs agresseurs la légitime défense, rappelant à l’occasion que les Tchadiens dans leur diversité devraient être traités dans la justice et l’égalité républicaine », estiment Les Transformateurs dans un communiqué publié le 18 mai dernier.

Outre le contexte, le parti met également en avant que les propos incriminés sont couverts par un accord d’amnistie générale signé en février 2024 entre le pouvoir et l’opposition afin d’apaiser la tension politique après les événements du 20 octobre 2022, qualifiés de « jeudi noir ».

« Il est vrai que le timing est curieux et que le fait que le procureur veuille apparemment relier un audio de 2023 à des événements récents est aussi étonnant. Mais c’est aussi en réalité le signe que les plaies d’octobre 2022 n’ont pas été refermées », confie à Jeune Afrique un proche du gouvernement.

Selon des sources interrogées par le magazine, une grande partie de la classe politique en veut à Succès Masra d’avoir instrumentalisé cette manifestation qui a tourné au bain de sang, sur des bases communautaires.


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